Ma visite de l'exposition "Our Body", le lundi 02 mars 2009 à l'espace Madeleine à Paris. Une exposition à la limite de l'immoralité, de la science, de la pédagogie, de la bienséance et de la provocation. Un concours de beauté de cadavres plastinés.

Mel Vadeker, avril 2009. 

Dernière mise à jour le 30/04/09, notes additives en bas de page suite à la procédure judiciaire de fermeture.

 

Pour la première fois en France, l’exposition anatomique de vrais corps humains : « OUR BODY / A CORPS OUVERT est une exposition fascinante, à la fois artistique et éducative qui montre de véritables corps et organes humains. Destinée à tous, cette exposition va littéralement « sous la peau », et révèle les mystères de l’anatomie de l’homme. Plutôt que d’utiliser des modèles anatomiques, OUR BODY / A CORPS OUVERT utilise de véritables corps humains. » Gratuit pour les moins de 3 ans. Prix découverte de 10,70 à 17,70 euros. C'est ainsi qu'est présentée cette exposition, aux travers de plaquettes publicitaires, de panneaux d'affichage, d'encarts publicitaires. Voir le site officiel Our Body / A corps ouvert - page d'accueil  -  plaquette  - vidéo

 

Cette exposition présente de véritables corps humains écorchés pour que l'on puisse observer leurs os, muscles et organes internes. Les corps ont été “plastinés” selon une technique mise au point en 1977 par un Allemand, Gunther von Hagens. L'opération, très longue (1500 heures de travail), consiste à plonger les corps dans des bains de formol puis d'acétone à -25° pour remplacer toutes ses graisses et liquides par de la silicone. On obtient au final “un spécimen anatomique solide et durable, presque éternel” précise le maigre communiqué annonçant l'événement.  Présentée comme “artistique et pédagogique”, Our Body a fait un carton partout où elle est passée dans le monde. Elle aurait pu atterrir à la cité des sciences de la Villette mais le musée parisien suivant l'avis défavorable du Comité National d'Ethique a préféré éviter la polémique :

". Il y a quelques mois, le conseil scientifique de la Cité des sciences avait sollicité, pour avis, le Conseil consultatif national d'éthique (CCNE). Sa réponse fut défavorable. "Pour éviter la polémique", ni le CCNE, ni la Cité des sciences ne souhaitent aujourd'hui expliquer leur position. Le Musée de l'homme fait valoir à demi-mot qu'il ne peut pas exposer des restes humains provenant de collections privées. Et la Cité des sciences indique juste qu'il y avait "une ambiguïté sur l'origine des corps" et qu'elle était "mal à l'aise sur la démarche commerciale".

Le monde culturel est partagé sur cette exposition, tout comme ceux de l'enseignement ou de la médecine. Alors, y aller ou pas ? Faut-il y emmener ses enfants, comme l'encouragent les organisateurs ? Comment se fait-il qu'une exposition qui a été vue à Lyon et Marseille, provoque une levée de boucliers dès qu'elle passe à Paris ? D'ailleurs on peut légitimement se poser des questions tant le débat est intense sur un projet d'exhibition itinérant source de biens des polémiques de par le monde.

Ressources internet sur l'exposition de corps plastinés


 

Ma visite de l'exposition eu lieu le lundi 02 mars 2009. J'ai profité du tarif réduit du lundi à 12,50 €. Une visite bouclée en deux heures, de 18h00 à 20h00 heure de la fermeture. J'étais accompagné par un représentant du corps médical pour m'aider à décrypter ce que j'étais censé découvrir par moi-même.

C'est une exposition ambivalente sur notre corps. La très critiquée exposition "Our body" est à l'image de l'évolution de notre civilisation occidentale. Tester les limites de la moralité pour provoquer une altération du regard sur notre rapport à la complexité du corps humain et de sa fragilité apparente, jusqu'à l'impensable présentation de la mort comme objet de spectacle. Ce ne sont plus des cadavres que l'on contemple mais des objets qui se voudraient à la fois artistique et scientifiques. Un projet bien ambitieux mais qui en fait cache un effort de stimulation de la curiosité. Un moyen d'éprouver son rapport à la chair humaine transformée en objet d'exhibition, ce lien au corps qui va du rejet de la décomposition des organes jusqu'à l'acceptation de l'inéluctable fatalité biologique d'un organisme à duré de vie limitée.

Il est trop tard pour s'indigner car l'ambivalence de cette exposition si elle prend aux tripes nous renvoie fatalement aux contradictions morales et politiques des sociétés occidentales. Le pari est réussi lorsqu'il est question d'exploiter un vide juridique et éthique pour attirer les foules. D'un coté nous avons l'aspect scientifique de vulgarisation, une démarche pour faire passer au public profane une vision d'écorchés vifs à des fins pédagogiques. De l'autre, nous avons la présentation de cadavres quasi statufiés qui pourraient s'il n'y avait pas ce fond morbide apparent, présenter des postures artistiques intéressantes pour le regard.

Je connaissais déjà le procédé de "plastination" qui été popularisé par le cinéma d'horreur. Le film allemand, 'Anatomie' (Stefan Ruzowitzky, 2000) qui a connu un succès et dans lequel du matériel humain préparé de cette façon devenait un ressort du scenario, un élément du décor et de la dramaturgie.

Je me rappelle également une citation d'un personnage du film Faux Samblant (Dead Ringers) de David Cronenberg, un film culte en avance sur son temps. Deux vrais jumeaux, Beverly et Elliot Mantle, gynécologues de renom, partagent le même appartement, la même clinique, les mêmes idées et les mêmes femmes. Dans ce film David Cronenberg émet cette proposition, par la voix d’un des jumeaux Mantle : « Il devrait y avoir des concours de beauté d’organes pour l’intérieur des corps. »  Voir cette analyse : Le cinéma de David Cronenberg et la peinture de Francis Bacon. Regards croisés. J'avais avant de faire cette visite, comme arrière pensée d'imaginer ce que pourrait être un concours de beauté de pièces anatomiques transformées en "plastinats". Je n'ai pas été déçu du voyage car il faut vraiment le voir pour le croire.

Est-ce que l'on est parvenu au stade culturel ou il est devenu concevable de transformer de vrais corps en objet d'une exposition ? Une question qui n'a rien d'anodine puisque même au musée du Louvre vous trouverez d'anciens cadavres originaires de l'ancienne Egypte, devenus du fait de la momification, de précieuses reliques historiques témoignant d'un passé disparu et mystérieux. D'autres exemples, parmi les plus connus, Honoré Fragonard, le frère du peintre, a exposé lui aussi en son temps comme des œuvres d'art du matériel humain à des fins d'enseignement. Il a préparé des cadavres d'hommes, d'enfants, des fœtus. Voir le site de l'école vétérinaire de Maisons-Alfort. Nous avons bien d'autres exemples de cette valeur historique et pédagogique à présenter des restes humains. Les ossuaires de la première guerre mondiale qu’on fait visiter aux écoliers, comme celui de l'Ossuaire de Douaumont. Le musée ambulant de la collection du Tsar Pierre le Grand en Russie, datant de 1714, en est un autre exemple, avec plus de 300 foetus malformés, une exposition financée par le gouvernement russe pour sensibiliser la population actuelle aux méfaits de l'alcoolisme et de la drogue. Il y aurait don un écart de traitement entre une exposition présentant une collection privée de corps plastinés et ce que l'on montre dans les centres universitaires, les musées, les monuments historiques et les mémoriaux. La différence réside dans le mode de présentation, la préparation du public et l'explication des thèmes abordés. La société peut-elle accepter des exhibitions de pièces anatomiques sans aucun intérêt historique, au contenu scientifique discutable et controversé ? La question mérite d'être posée et débattue.

Le visiteur-voyeur a tout intérêt à comparer les détails anatomiques exposés avec ses propres défaillances organiques. Voilà un autre point de fascination. Le visiteur n'a jamais eu l'occasion de pénétrer l'intérieur d'un corps et encore moins de regarder à l'intérieur du sien. Il peut à l'occasion d'un contrôle médical et d'un examen radiographique saisir au vol quelques paroles incompréhensibles de son médecin. C'est bien connu, le jargon médical est source de frustration chez tous les patients. Le médecin spécialiste conserve pour lui les secrets de fonctionnement de nos organes. Avec cette exposition qui va sous la peau, l'ancien malade peut enfin se soulager et se mettre à la place du corps médical. Il peut avoir le regard techniciste et scruter d'un regard les détails qui échappent à la compréhension. La tentation est trop forte. Et voilà que l'on peut imaginer pourquoi tel nerf nous fait mal, comment sont implantés des implants orthopédiques. Quelle est la représentation en trois dimensions de notre constitution interne ? Tout est montré dès que l'on soulève la peau, après dissection, innervation, éviscération, coupe en tranche. Le sentiment de revanche est là, on a presque le sentiment de comprendre.

Par identification, on peut se mettre à la place du médecin spécialiste qui observe, osculte et analyse avec détachement et recul. Le parti pris émotionnel est secondaire, ce qui compte c'est d'extraire de la chair son secret et de le mettre en pleine lumière. En bref, on a peut être un aperçu de ce qui se pratique dans le corps médical. C'est aussi briser un tabou autour de la mort en rendant les cours d'anatomie accessible au public et cela pourrait aller jusqu'à montrer l'acte de dissection lors d'une présentation publique. Le docteur Gunther von Haggens, découvreur du procédé d'imprégnation polymérique autrement dit la plastination, a inauguré pour la première fois en 2002, une autopsie publique dans le théâtre anatomique de Brick Lane à Londres en présence de plus de 500 spectateurs. Une première en europe depuis l'époque des Théâtres Anatomiques apparus au XVIème siècle. Cette autopsie a été mise en scène et filmée pour une retransmission télévisuelle. Ce cap étant franchi, l'étape suivante fut la réalisation pour la télévision et Internet de séries documentaires à vocation pédagogique, La leçon d'anatomie par le Dr Gunther Von Hagens et Autopsy Emergency Room. Les succès internationaux de fictions policières et médicales au contenu hyperréaliste et spectaculaire ont favorisé l'acceptation d'une imagerie de la reconstitution d'autopsie et de l'exploration anatomique. On est donc passé de la fiction télévisuelle, du faire semblant, à la dure réalité pathologique et morbide. Gunther von Haggens a suivi ce mouvement et diversifié ses activités à destination du plus large public possible avec ses propres exhibitions Body Worlds adoptant son propre style "Art Anatomique". La plastination des corps est devenu au fil du temps une véritable industrie, avec des brevets déposés, des instituts de recherches associés, des usines de reconditionnement de cadavres humains. Toujours par extrapolation et association d'idée, on peut imaginer ce que peuvent être les autres expériences scientifiques sur de véritables cadavres, en biomécanique, en accidentologie, en expertise et entomologie médico-légale. Ce sont toutes ces disciplines qui font du mort un objet d'étude et qui se révèlent soudain à nous. Il vient ensuite le questionnement sur le don d'organes. Pourquoi donner son corps à la science et dans quels buts ? Qui sont les donneurs ? Sont-ils traités avec respect et dignité.

Il existe un public sensibilisé par la télévision et le cinéma de fiction, prêt à faire le déplacement pour satisfaire une curiosité ou vivre le plaisir de l'épouvante. La réalité dépasse la fiction, c'est mieux qu'un film d'horreur ou une escapade à sensations fortes. Nous avons donc un public, une demande, un marché viable en termes de rentabilité et de visiteurs potentiels. Le succès est garanti comme l'atteste le triomphe international de Body Worlds. Suffit-il alors de prendre une licence d'exploitation et de recueillir des corps préparés par des instituts spécialisés pour ouvrir une exposition de vrais corps humains ? Cela ne peut pas être aussi simple car ce serait presque à la portée de tout le monde. Nous voilà encore avec un autre sujet de controverse. La problématique du trafic de cadavres, de la marchandise biologique, du respect des conventions éthiques et sociales. Ces problèmes sont-ils mis commodément au second plan face à la puissance de la société du spectacle ? Qui a le droit ou non d'exposer de vrais corps ? Quelles sont les conditions éthiques et morales à satisfaire pour être en conformité avec le cadre législatif du pays ? Assiste-t-on à une dérive de l'exploitation de corps plastinés au niveau international ? Toutes ces questions et controverses expliquent la levée de boucliers, le recours à la justice par des opposants qui réclament la fermeture d'expositions et l'application d'une réglementation sur l'utilisation des cadavres

La visite de l'exposition Our Body me donne l'impression d'une représentation mécaniste et réductionniste de l'être humain, ce qui constitue un parti pris purement anatomique. Une mise en scène pour admirer des organes à la loupe tout en étant dans le ludique et le loisir. On peut y voir différents corps éclatés, déstructurés sous vitrine, dans des gestuelles sportives et décontractées. La complexité biophysique est ici réduite à un mécanisme que l'on peut décomposer et décortiquer à l'extrême. Nous ne serions plus que cela, des pièces anatomiques réparables ou jetables. Mon sentiment au cours de mon exploration des lieux : l'homme est devenu un objet pour l'homme et son devenir est sous mes yeux. Il n'y a personne pour aider le visiteur à gérer sa perplexité et ses interrogations. Chacun pour soi et Dieu pour tous ! Où sont donc passé les émotions, le psychisme, la complexité du vivant ?

"Objets inanimés, avez-vous donc une âme 
Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ?"

L'absence de positionnement éthique et d'accompagnateur fait défaut. Le visiteur après avoir acheté son billet d'entrée est carrément jeté dans cette exploration macabre sans aucune préparation. Il reste seul avec ses yeux pour voir ou pour pleurer. Ames sensibles s'abstenir à moins de se laisser bercer par la voix d'un audioguide pour une visite thématique. Quoi que l'on dise, il y a un déséquilibre manifeste entre transmission d'une connaissance théorique et la perception d'une vérité par le regard. On nous donne plus à voir qu'a comprendre et c'est là véritablement le but de l'exposition.

Le public averti côtoie l'amateur stupéfait. Le professionnel expérimenté comprend d'un seul coup d'œil et décode ce qui échappe à une compréhension immédiate. Pour l'étudiant en médecine, cette exposition est avant tout perçue comme un outil de travail qui l'aide à assimiler des planches anatomiques et à percevoir les organes dans les trois dimensions. Les facultés de médecine utilisent ce procédé de plastination dans l'enseignement et la préservation de pièces anatomiques. Le visiteur profane quant à lui est déjà perdu, il ne sait quoi comprendre et n'a que son expérience personnelle pour interpréter ce qu'il voit. C'est encore plus frappant lorsque les enfants découvrent les corps exhibés en grandeur nature. Chez l'enfant tout est amplifié, la palette d'émotions va du sentiment de rejet (révulsion, effroi, dégout, consternation) à celui du questionnement (intérêt, surprise, curiosité, recherche). Nous sommes donc devant un constat d'hypocrisie, on interdit à la télévision à destination des enfants, la vision d'images horrifiques, dégradantes et obscènes mais dès qu'il s'agit de la science, on peut faire varier le curseur de la morale et des interdits. Un autre sujet de débat. Ces enfants, que tireront-ils de cette visite ? Seront-ils devenus si insensibles qu'ils pourront supporter par la suite des images plus horribles encore ? En ferons-nous des jeunes traumatisés par cette réalité crue, complètement dégoutés des visites dites culturelles ? Ou seront-ils curieux au point de s'intéresser à d'autres domaines de la médecine ?

Le choc en retour à la fin de la visite est celui du spectacle de la mort transfigurée. On passe d'une société du spectacle du culte des morts à la transition vers une autre société du spectacle du culte du corps des morts. On peut faire le parallèle avec l'époque du commerce des momies égyptiennes. Il fut un temps où elles étaient l'objet de contrebande. On ne les considérait pas seulement comme des objets de collections privées mais également comme des remèdes pharmaceutiques. On les achetait, les revendait, les exposait, et on organisait des soirées très prisées pour la bonne société ou les clubs de l'élite sociale. Nous avons bien entendu d'autres affaires plus récentes et d'autres polémiques comme ceux de la restitution de  la Vénus hottentote ou encore des têtes Maorie. Le corps a perdu de sa sacralité, il peut être soumis à la loi du marché et à la cupidité des collectionneurs. Le corps humain est susceptible de réification. Il peut aisément du fait d'un vide juridique, d'un trafic lucratif, d'une immoralité, devenir un objet avec une valeur marchande ou pire encore se transformer en objet spéculatif. C'est un danger que l'on ne peut par écarter par le seul alibi scientifique. 

Tout le long de la visite, on ne peut éviter de penser qu'il s'agit de vrais corps humain, c'est même le slogan publicitaire de cette exposition. Tout est fait pour le rappeler, ce sont d'anciens corps humains vivants qui sont devenus des "plastinats". Par un subtil glissement sémantique, on a extrait du vocabulaire le mot cadavre et toutes les autres notions de mortalité et de décomposition des chairs. Le nouveau corps-objet reconstitué par la silicone est devenu sec et sans odeur. On peut même le toucher, ce que certains ne se privent pas de faire. Le public expert peut faire la différence et juger sur pièce de l'effet produit par ce nouveau marketing technico-culturel mais quand est-il pour le public profane ? Ce dernier se laisse abuser, engourdi par tant d'émotions. Le visiteur profane décontenancé n'a pas le temps de se poser de questions.

C'est le spectacle avant tout, la science sert de prétexte et c'est bien dommage. Ce qu'il manque pour aider le visiteur, c'est un support documentaire qui retrace l'histoire du corps exposé, allant du recueil du consentement du donneur, aux différentes étapes de la préparation, jusqu'au stade de l'exposition ouverte au public. Mais cela aurait peut être été trop choquant et gâché le plaisir ludique de la découverte en famille. On peut toutefois se rattraper une fois la visite terminée par une recherche personnelle sur Internet avec toutes les questions non résolues en tête. Ce qu'on y découvre est plus stupéfiant encore, on y trouve les vidéos d'exhibitions de Body Worlds de Gunther von Haggens qui repoussent encore plus loin les limites du genre "Art Anatomie". Une porte ouverte à des visions qui ressemblent à s'y m'éprendre à de la taxidermie. L'homme à l'apogée de son désir scientifique de maîtrise de la nature est devenu son propre prédateur et expose des corps écorchés et disséqués dans des postures et gestuelles artistiques. Qu'est-ce que cela signifie ? Que l'être humain plastiné peut être exhibé comme le trophée symbolique d'une conquête de la chair domestiquée. Est-ce un sentiment de fierté qui motive l'organisation et la visite de telle exposition ? Toujours à la limite de la bienséance, l'homme a réussi à vaincre la mort, la décomposition du corps et il le démontre d'une manière bien spectaculaire.

Quel est le concept artistique, scientifique, philosophique derrière ce genre d'exposition ? Ce n'est pas évident à déterminer. De quelle doctrine se réfère-t-on ? De quelle politique culturelle s'inspire-t-on ?  Il n'est pas commode de voir le résultat de la mort de quelqu'un comme un objet à scruter. On peut comprendre que cela choque. Source de confusion et de mélange des genres, la vue de véritables corps présentés à la fois et sans détour comme objet scientifique, pédagogique ou artistique ne peux susciter que la controverse. Le corps humain démystifié qui conserve son état de fraicheur pour l'éternité n'est pas sans rappeler des précédents historiques. Un jour viendra où l'on proposera des services analogues en thanatopraxie, des services funéraires hors de prix pour des hommes riches en fin de vie. C'est le fantasme de l'accession à l'immortalité dans le cœur des hommes comme l'ont été les pharaons Egyptien ou Lenine avec son mausolée.

Il est impossible d'explorer les trop nombreux rapports entre la mort du corps comme finalité de l'existence et ses nombreux mystères à explorer et à transcender. On ne peut que constater l'activité apparente des communautés scientifiques qui ont font, soit un objet de recherche digne d'intérêt pour la simulation et la recherche, par exemple avec le Visible Humain Project, soit une source de profits plus que douteuse comme la cryogénisation.

La peur de la mort et le désir d'y survivre à tout prix constituent une tentation dangereuse qui se profile à l'horizon et qui menace le fondement moral des sociétés. Que ferons-nous le jour où les nouvelles panoplies biotechnologies reconstructrices, alliées à la main invisible d'un marché spéculatif sans scrupule, offriront des rêves d'immortalités et d'éternelle jeunesse ? Que deviendra la condition humanoïde naturelle si on considère que pour vivre heureux et vaincre la déchéance il faut toujours aller de l'avant vers plus de technologie ? Acquérir le statut d'humain amélioré par la relation intime entre un organisme biologique et la machine. On pourra choisir entre le devenir cyborg avec son endosquelette de métal recouvert de tissus charnel, ou rester un être humain bien banal. Si la dégradation du corps n'est pas domestiquée et que l'on arrive finalement à en mourir, il restera l'état d'androïde, cette machine à part entière qui pourra faire revivre par la pantomime cet obscur objet du désir, ce prolongement de sa propre vie au-delà de la mort. Etre ou ne pas être un objet-machine, telle est la question que l'on devra affronter dans un futur proche.

"Notre corps est notre jardin, notre volonté en est le jardinier", c'est la phrase de William Shakespeare que l'on peut lire à l'accueil de l'exposition "Our Body/A Corps Ouvert" pour se mettre en condition psychologique et que l'on retrouve à la sortie comme pour prolonger une méditation. L'objectif est-il atteint par les commissaires de l'exposition ? Le visiteur en sait-il plus sur les fonctions vitales de son organisme ? Le visiteur a-t-il été sensibilisé à la responsabilité d'une prise en charge volontaire de sa propre santé et de sa longévité ? Cette manifestation qu'elle ait lieu en France ou dans d'autres pays dans des conditions plus troublantes encore ne satisfait réellement à aucune de ces deux conditions pédagogiques : celles de participer à l'éducation médicale et à la prévention du capital corporel du grand public. On est en réalité loin du compte car voir n'est pas suffisant pour comprendre et encore moins pour assimiler un savoir. Il manque quelque chose de fondamental, le support pédagogique d'une personne expérimentée à l'écoute et qui accompagne le visiteur. C'est pour répondre à mon questionnement que j'ai demandé à une connaissance appartenant au corps médical de m'accompagner. Une démarche extrêmement utile tant le cheminement vers la compréhension est difficile et les questions trop nombreuses. Il y avait tant à analyser, à critiquer, à comprendre, beaucoup plus que je ne pouvais imaginer. Finalement, la seule réalité que cette exposition est finalement parvenue à transmettre, comme l'assurent les organisateurs, c'est montrer "au plus grand nombre ce qui était réservé aux anatomistes et médecins"

 Un homme plastiné, présenté lors du BodyWorlds 2 à l'Ontario Science Centre



L'exposition Our Body assignée en justice. Fermeture et interdiction confirmée en appel.

21/04/09 : Une première pour l'exposition itinérante de corps "plastinés". Une décision de justice vient d'interdire en France l'exposition Our Body, le 21 avril 2009. L'argument principal étant que les corps exposés seraient ceux de prisonniers ou de condamnés à mort chinois soumis à un trafic d'organe, l'argument secondaire porte sur un "manque à la décence" et que "l'espace assigné par la loi au cadavre est celui du cimetière". Il a été décidé de placer les corps des cadavres chinois sous sequetres "aux fins de rechercher avec les autorités publiques françaises compétentes d'une solution conforme aux droits de l''inhumation". L'organisateur de l'exposition a décidé de faire appel de cette décision de justice. Le débat à toutes les chances d'être mouvementé avec des arguments et contre-arguments qui feront date.

28/04/09 :  PARIS (AFP) — Après l'interdiction la semaine dernière en référé de l'exposition anatomique "Our Body, à corps ouvert", à Paris, ses organisateurs ont tenté mardi de convaincre la cour d'appel de leur offrir une seconde chance, même si le ministère public a demandé la fermeture définitive de la manifestation. Il leur faudra attendre jeudi midi pour être fixés sur leur sort. Le parquet général lui s'est déjà fait son avis. "Dans notre société, il y a des tabous, des domaines dans lesquels on n'a pas le droit de pénétrer, des transgressions qu'il n'est pas possible d'autoriser. (...) Le corps humain a le droit au repos", a ainsi tranché l'avocate générale. Pas question pour Isabelle Terrier-Mareuil de comparer les cadavres humains exposés par la société Encore Events aux écorchés de Fragonard. "On ne peut faire d'amalgame entre cette exposition, interdite à juste titre, et cette oeuvre sulfureuse", à l'intérêt "historique", a-t-elle déclaré, requérant implicitement la confirmation de l'interdiction. Le 21 avril, le juge des référés du TGI de Paris, Louis-Marie Raingeard, a ordonné la fermeture de l'exposition présentée à l'Espace 12 Madeleine. Une décision inédite. Déjà présentée à l'étranger, ainsi qu'à Lyon et à Marseille, la manifestation a fermé ses portes mercredi soir. Le juge a considéré d'une part que les cadavres avaient leur place au cimetière et d'autre part que la mise en scène des corps était contraire à la décence. Me Hervé Temmime, venu défendre Encore Events, a estimé mardi devant la cour, présidée pour l'occasion par le Premier président de la cour d'appel Jean-Claude Magendie, qu'un tel débat devait "échapper à la sphère judiciaire". Trente millions de personnes ont visité des expositions anatomiques en Occident "sans qu'à aucun moment, aucune justice du monde n'ait songé à en interdire l'accès à quiconque", a-t-il rappelé. Alors, bien sûr, "on peut considérer que cette exposition est formidable ou scandaleuse, mais que la justice démocratique l'interdise, c'est absolument stupéfiant". L'avocat a mis en garde contre la portée d'une telle décision, "liberticide" car ce serait "l'interdiction absolue de toute exposition où il y a un membre ou un organe d'une personne non vivante (...), des "momies" aux "foetus", en passant par "des salles entières du Musée de l'Homme". A l'inverse, l'avocat des associations demanderesses, Ensemble contre la peine de mort et Solidarité Chine, s'est "réjoui que le juge français ait eu le courage d'interdire" une telle manifestation. Dénonçant l'objet "purement mercantile" de "Our Body", Me Richard Sedillot a assuré qu'elle n'avait "aucun intérêt scientifique" mais n'était que "pur voyeurisme". Cette "violation des règles éthiques" est selon lui d'autant plus flagrante qu'Encore Events s'est procuré les corps auprès d'une fondation chinoise "qui n'a aucun crédit dans le monde médical" et n'a jamais apporté la preuve que les personnes aient consenti de leur vivant à ce que leur cadavre soit exposé. "En Chine, on pratique aujourd'hui les pires trafics de corps humains", a-t-il rappelé, craignant que les corps exposés soient ceux de condamnés à mort. Et puis, argue-t-il, la position des organisateurs n'est pas si claire: comment expliquer qu'ils se soient gardés de parler de corps humains en passant la douane, préférant déclarer du "matériel anatomique de synthèse", et qu'ensuite ils parlent partout de "véritables corps humains", afin d'attirer le public?

30/04/09 :  AFP — La cour d'appel de Paris a confirmé jeudi l'interdiction de l'exposition anatomique "Our Body, à corps ouvert", qui présente à Paris des cadavres humains. Alors qu'en première instance le juge des référés avait motivé son interdiction par le manque de décence de l'exposition, le premier président de la cour d'appel, Jean-Claude Magendie, s'est appuyé sur le doute entourant l'origine des corps. "La société Encore Events (organisatrice de l'exposition, ndlr) ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, de l'origine licite et non frauduleuse des corps litigieux et de l'existence de consentements autorisés", est-il indiqué dans la décision de la cour d'appel. Le 21 avril, le juge des référés du TGI de Paris, Louis-Marie Raingeard, avait ordonné la fermeture de l'exposition présentée à l'Espace 12 Madeleine. Une décision inédite. Déjà présentée à l'étranger, ainsi qu'à Lyon et à Marseille, la manifestation avait fermé ses portes le soir du 22 avril. Le magistrat considérait d'une part que les cadavres avaient leur place au cimetière et d'autre part que la mise en scène des corps était contraire à la décence. Pascal Bernardin, le gérant de la société Encore Events, organisateur de la manifestation, avait interjeté appel. Lors de l'audience d'appel, le ministère public avait implicitement demandé la confirmation de l'interdiction. Les avocats d'Encore Events, Mes Hervé Témime et Jean-Marie Tomasi, s'étaient étonnés de l'interdiction. 30 millions de personnes ont visité des expositions anatomiques en Occident "sans qu'à aucun moment, aucune justice du monde n'ait songé à en interdire l'accès à quiconque", avaient-ils fait valoir. La cour d'appel de Paris a confirmé jeudi l'interdiction de l'exposition anatomique "Our Body, à corps ouvert", qui présente à Paris des cadavres humains.