De ma visite au Palais de la découverte au glissement sémantique à propos des rats plongeurs

Mel Vadeker, mai 2009

Une étude scientifique en éthologie et neuroscience comportementale - disponible sur Cat.inist, thèse soutenu par Desor Didier en 1994 - a été reprise au sein de communautés virtuelles dès janvier 2009 pour servir de métaphore politique et de critique sociale. Un article faisant référence à cette étude a été répété et propagé comme exemple comparatif de certains traits de caractère typiquement humain avec comme message implicite que l'Homme était un rat pour l'Homme. Cette forme de dénonciation de l'humain, par une analogie abusivement formulée hors du contexte didactique éthologique, est un exemple de récupération culturelle d'une étude scientifique. Mots clés  : les rats plongeurs – expériences de différenciation sociale chez les rats.

Résumé / Abstract

Quand un groupe de rats est placé face à une contrainte de l'environnement (barrière aquatique entre la cage et la source de nourriture), une différenciation sociale apparaît parmi les individus: certains rats ne parviennent pas à transporter la nourriture (Non Transporteurs), certains la transportent et se la font voler par les NT (transporteurs Ravitailleurs); les derniers la transportent mais parviennent à la défendre (transporteurs Autonomes). Cette organisation sociale, très stable, ne peut être assimilée à une échelle de dominance. Un certain nombre d'aspects socio-cognitifs (incitations) sont envisagés. Une étude longitudinale montre que les futurs rôles des individus sont prédictibles à partir de variables de leur développement physique, ou de leur comportement dans diverses situations vécues individuellement ou socialement. Les anxiolytiques ne modifient pas cette organisation lorsqu'elle est établie, mais induisent l'adoption du profil Transporteur s'ils sont administrés pendant la période d'établissement de la contrainte. Certains antidépresseurs modifient le comportement des rats

 

Je me suis souvenu de ma visite du Palais de la découverte en 2006 et de son atelier "l'école des rats" qui présente dans un amphithéâtre des expériences spectaculaires sur l'apprentissage. Il s'agit de montrer au public les aptitudes neurobiologiques de cet animal dans diverses situations. J'ai donc assisté à la présentation d'un parcours labyrinthique et vu les capacités de mémorisation poussées dans leurs limites de différents rats préalablement entrainés. En 2006, il y eu cette fameuse présentation les rats plongeurs – expériences de différentiations sociales chez les rats, avec comme intervenants : Didier Desor et Henri Schroeder (Enseignants - Chercheurs)

Cette visite au Palais de la découverte a été l'occasion de voir de mes propres yeux les liens entre éthologie et neuroscience comportementale. Mon intérêt pour l'étude du comportement animal et multiple. J'ai du m'occuper sans vraiment le vouloir d'animaux domestiques, d'hamsters russes en particulier et ce sur plusieurs générations. J'ai aussi étudié les comportements collectifs dans le règne animal et sociétés d'insectes. C'était pour moi essentiel pour mes recherches en sciences cognitives et plus particulièrement lorsque j'avais à construire un modèle théorique dans cette nouvelle discipline que l'on appelle la bionique.

On voit bien qu'il y a des passerelles entre différentes disciplines. Ce qui ne facile pas la tache du lecteur qui tombe sur un article retraçant cette expérience des rats plongeurs et prolonge sans précaution la comparaison directement au comportement humain. Je reproduis infra cet article qui a été récupéré par différents sites Internet d'information alternatifs, de communautés virtuelles de contre-culture et d'autres forums d'inspiration politique. Le lecteur avait de quoi se laisser impressionner par un argument d'autorité scientifique qui placé hors contexte donnait l'occasion du fait d'un constat spectaculaire de l'éthologie animale, servir à véhiculer un message politique sous-jacent avec comme phrase choc devenu ensuite un titre  « l'Homme est un rat pour l'homme ». La comparaison et le lien avec l'expérience humaine est vite fait dans l'esprit du lecteur ce qui facilite ensuite les amalgame et les divers glissements sémantiques autour d'une notion de correspondance comportementale comme point d'analogie évidente. On remarque également que l'interprétation de cet article varie selon le contexte culturel dans lequel est immergé le lecteur.

Il est regrettable que le manque de culture scientifique et le refus de pousser un peu plus loin la réflexion sur la seule base ethnologique aient favorisé les amalgames douteux entre la preuve scientifique et une argumentation propre à la critique politique et la contestation sociale. Cette facilité de prendre l'animal comme représentant de nos travers et de nos dérives est devenu une pratique usuelle, l'Homme devenant au titre d'une comparaison peu flatteuse soit un singe ou un chien. Ce qui est diffère ici, c'est un glissement sémantique à partir d'un discours scientifique vers un autre discours implicite et sous-jacent pour étayer à postériori une opinion sur le genre humain.

Beaucoup ont été abusé par cette méthode, le lecteur passif s'il avait été mieux préparé à la critique aurait pu mettre le doigt sur ce glissement sémantique dont le but est d'influencer l'opinion. Avec du recul on pouvait s'étonner de cette juxtaposition entre une ancienne étude scientifique de 1994 et des amalgames contemporains servant la critique politique, la satire sociale et la démagogie.

La transposition littérale d'une étude comportementale d'un modèle animal vers un modèle humain est scientifiquement une erreur. On peut tout juste s'en inspirer pour comprendre le fonctionnement des interactions individuelles et des comportements de groupe spécifique au dit modèle. Il est en effet plus facile d'étudier la complexité des phénomènes collectifs à partir du monde animal d'autant plus que l'on peut facilement reproduire des expériences avec des cobayes pour tester de nombreuses situations de stress et de contraintes environnementales. A cette occasion l'outil informatique joue aussi un rôle de plus en plus important et peut servir à modéliser des théories. Ce qui est plus acceptable dans l'éthique scientifique que de faire subir un sort comparable à des cobayes humains sauf quelques exceptions controversées en psychologie sociale.

Un moyen simple pour s'apercevoir de ce glissement sémantique est de faire une comparaison entre un document de vulgarisation scientifique et l'article qui a circulé dès janvier 2009. D'un coté nous avons un documents vidéo d'époque qui circonscrit l'étude au seul modèle animal et de l'autre une forme de réappropriation de l'étude pour en faire un message qui fait subtilement le lien avec la critique politique des sociétés humaines.

[Les Mots ont un sens - 28 janvier 2009]
Un étude universitaire de 1994 a mis en évidence un facteur de différenciation sociale chez des rats de laboratoire : la peur. La création d’un stress aboutit à la création d’une hiérarchie de type exploiteurs / exploités / autonome. L’homme n’aura guère inventé que la persécution des autonomes…

Didier Desor, enseignant-chercheur de la faculté de Nancy, a réalisé en 1994 une expérience intitulée “Les rats plongeurs – expériences de différenciation sociale chez les rats”. Cette étude consistait à placer des rats dans une cage, qui s’ouvrait quelques heures par jour pour laisser l’animal libre de parcourir un tunnel débouchant sur un distributeur de nourriture. Jusque là, tout va bien, et les rats se donnaient tous la peine d’aller chercher leur propre victuaille. Mais par la suite, le tunnel était rempli d’eau et les rats devaient nager en apnée pour franchir le tunnel, prendre les croquettes, et revenir les déguster au point de départ. Pris un par un, les rats réussissaient l’épreuve sans aucun problème. Mais regroupés en troupe de six, c’était une autre histoire.

De la lutte des classes, en cages…

Le premier jour, trois rongeurs refusaient de se jeter à l’eau, ils ne mangèrent pas. Dès le lendemain, un étonnant schéma se mit en place. Trois rats “profiteurs” poussèrent les trois autres à l’eau pour les attaquer sur le retour. Un seul défendait son trésor, le “nageur autonome”. Les deux autres, “nageurs ravitailleurs”, se soumettaient et plongeaient autant de fois que nécessaire pour rassasier les fainéants. Ils se nourrissaient seulement lorsque cette “tâche sociale” était accomplie.

La structure sociale ainsi mise en place est définitive, et le résultat de l’expérience est systématiquement le même. Y compris lorsque l’on place six exploiteurs ensemble ; après une nuit de combats acharnés, les rôles sont redistribués à l’identique : trois exploiteurs, deux exploités, un autonome. Puis l’expérience a été reproduite dans une cage plus grande contenant deux cents individus. Ils se sont battus toute la nuit. Le lendemain, trois rats morts et scalpés gisaient sur le sol et les exploiteurs entretenaient une hiérarchie de lieutenants leur permettant de répercuter leur autorité sans même se donner le mal de terroriser qui que ce soit.

Le stress comme origine de la structure sociale

Autre conclusion de l’étude : les rats les plus stressés étaient… les exploiteurs ! Lorsqu’on leur enlevait leurs “ravitailleurs”, ils se laissaient mourir. Mais si on leur injectait des anxiolytiques pendant la période d’adaptation à l’eau, tous se mettaient à plonger et aucune structure sociale ne se mettait en place.

Conclusions (sujettes à discussion) : Plus la société est nombreuse, plus la cruauté envers les “faibles” augmente. D’autre part, la peur est le principal moteur de l’organisation hiérarchique d’une société. Finalement, l’homme n’aura guère inventé que la persécution des autonomes…

 

Ressources internet

Commentaire dans une intentionnalité de vulgarisation scientifique :

Reprise du contenu avec une intentionnalité politique, l'homme est un rat pour l'homme :